- Elise Lepage
Arbre angulaire
Mythologie toute personnelle cet arbre pétrifié par l’imaginaire
le coup de foudre qui l’a amoché et celui qui m’a frappée
intensité exactitude
du lieu de la date gravée au couteau dans la chair de ma mémoire
Statue aride
l’arbre accueille
celles et ceux qui s’apprêtent à descendre plus d’une centaine de marches
billots mal dégrossis
dans une pente abrupte droit en bas à ses pieds
un rivage une plage un peu le bout du monde
juste avant la bascule à l’horizon
Mais surtout cet arbre veilleur intemporel d’une communauté
étonnamment vivace qui danse et pirouette bariolée
sur le sable en contrebas là où elle se blottit au nez et à la barbe
des projets immobiliers et temples de la haute finance
aveugles cœurs crevés
épouvantail usé du temps délavé par le vent
figure d’une fierté pauvre silhouette décharnée
contraste saisissant contre le ciel franc
là irrésistible les contours de la dignité
tranquillement un alphabet du respect
tatouage sur l’âme et la rétine
* * *
Sa préséance depuis combien d’années
Capitulation des aléas impuissants des saisons
signature l’enchevêtrement de ses branches et brindilles
dessine des idéogrammes indéchiffrables un passé dépareillé
corps atrophié en quête de bienveillance
chaleur pression une main – peut-être
dans sa raideur hirsute de bois mort
tourné vers les autres le monde et le large
tronc glabre comme malade
on ne s’y frotterait pas mais on s’imaginerait
volontiers rapace perché à son sommet
girouette peu gracieuse
arbre de paix
au fil des années de doute
Cet arbre angulaire de mon imagination est-il toujours là
surplombant le bord du monde et ses cerfs-volants d’hiver
son peuple coloré qui réinvente l’été
et ce que « debout » veut dire à longueur d’année
sa verticalité ébouriffée vivante colonne vertébrale
défit le temps de la calcification
innerve de toutes les fissures de son écorce
le peuple d’arbres d’eaux et de roches qui m’enracinent
où que je me trouve
